Aujourd’hui, c’est le Community Managers’ Appreciation Day et nous fêtons les gestionnaires de communauté.
Communauté. Voilà encore un mot dont le sens est instable, élusif, changeant. L’ensemble des utilisat•eur•rice•s d’un produit forment-iels une “communauté”? L’ensemble des followers d’un•e influenc•eur•euse forment-iels une communauté? Franchement. Pas sûr.
Quoi qu’il en soit. Il faut bien que quelqu’un représente l’organisation dans les médias sociaux. Qu’ils forment ou non des communautés, les différents sites de médias sociaux ont des cultures et des codes qui changent. Leurs exigences algorithmiques en terme de contenus et d’interaction évoluent. Il vaut mieux être bien renseigné pour s’y conformer avec grâce. Se faire entendre dans le vacarme de millions de personnes et de marques qui essaient toutes de se faire entendre est une gageure.
Les débuts de la gestion de communauté
Je me souviens encore de l’époque, pas si lointaine, où on essayait de faire émerger le métier. On disait aux entreprises qu’elles devaient participer aux conversations en ligne d’égal à égal avec les gens. C’était le message du Cluetrain Manifesto ou encore du livre de Tara Hunt sur le capital social.
«Laissez tomber les mégaphones.», disait-on. «Parlez leur leur propre langage», ajoutait-on. Certaines de ces leçons sont encore d’actualité mais les choses ont beaucoup changé. Et les conséquences de nos choix sont de plus en plus claires. Avons-nous humanisé la communication des entreprises? Ou avons-nous forcé les individus à parler comme elles en les forçant à entrer en concurrence avec des professionnel•le•s?
Je me demande si nous n’avons pas collectivement fait une erreur en encourageant nos clients et nos employeurs à investir dans des plateformes fermées et non-interopérables. Celles et ceux que j’ai prévenu des risques ont toujours décidés de les prendre. J’aurais peut-être pu être plus convaincant mais j’en doute. Au final, on a offert aux plateformes un pouvoir immense et une opportunité d’extraire de faramineuses rentes de nos relations avec nos audiences.
Capturés par les grandes plateformes
Au début, enseigner un truc utile ou faire ressentir une émotion positive était récompensé très vite. On formait naturellement des liens avec les genssur Facebook, Tumblr ou Twitter. Une audience se constituait autour de ces prises de parole.
Progressivement, les plateformes ont changé le contrat de départ. Il a fallu se mettre à faire des publications sponsorisées pour espérer toucher l’audience qu’on avait assemblé. Les résultats des publicités à budget égal s’est mis à chuter d’année en année.
Cette altération du contrat liant les plateformes numériques et leurs utilisat•eur•rice•s a été très bien décrite par Cory Doctorow qui appelle cela “enshittification”.
Et ce mouvement a des conséquences très tangibles pour le web entier.
Les liens externes
Faire découvrir de nouvelles choses aux autres en partageant des liens a longtemps été une façon d’attirer de nouvelles•aux ami•e•s. Ainsi que des prospects, des client.e.s, etc. Aujourd’hui, il est indéniable que les plateformes limitent la circulation des liens pour garder leurs utilisat•eur•rice•s à rester sur leurs domaines.
Aujourd’hui, amener un volume de trafic significatif sur un article de blog depuis les réseaux sociaux sans promotion payante est devenu presque impossible. Le nombre d’impression organique pour une publication contenant un lien est très faible. Le nombre de clic, qui représente toujours une fraction des impressions, est d’autant plus faible encore.
Une fois que les visit•eur•euse•s sont sur notre site (surtout si on a dû payer pour avoir leur attention), il devient très tentant de ne pas mettre de liens externes vers d’autres sites pour tenter de garder leur attention le plus longtemps possible.
Cette évolution a fondamentalement changé la manière dont on partage des contenus en ligne. En décourageant les liens et leur partage, les plateformes appauvrissent la fonction de moteur de découverte du web dans son ensemble. Elles rendent le web moins amusant, moins riche et moins utile.
- Voir les millions d’autres sites qui existent sur le web comme des concurrents
- Mesurer le trafic en gains monétaires potentiels qu’on pourrait extraire des personnes qui nous lisent
Cela relève d’un mindset de pénurie. Cela n’a pas toujours été comme ça. Il y a de cela encore 15 ans, des sites destinés aux mêmes thématiques s’organisaient en “web rings” et proposaient des tours guidés passant entre chacun d’entre eux en séquence.
La paraphrase et le SEO
Non seulement, on fait moins de liens vers d’autres sites. Mais, en plus, on paraphrase les contenus des autres domaines sur les nôtres.
On se concentre sur la capture du maximum de trafic en provenance des moteurs de recherche (SEO) à l’exclusion de toute autre considération. Ainsi, on préfère agréger et paraphraser les articles des concurrents pour leur passer devant sur les pages de résultats. Cette généralisation et cette banalisation de la paraphrase (ou même du plagiat) sont inquiétantes.
On court le risque de s’épuiser. Couvrir les choses qu’on fait le mieux et faire des liens vers le reste est plus efficace à long terme.
Surfer sur le web
«Surfer sur le web» est un vocable perdu, désuet, presque cringe. C’est le marqueur d’une époque révolue où la navigation sur le web était plus trépidante. On pouvait être emporté de domaines en domaines au gré des liens hypertextes par de grands élans de curiosité. La surprise et le plaisir de la découverte pouvaient nous pousser en avant pendant des heures.
L’enchaînement des sites web qu’on découvrait dans ces folles cavalcades à travers le web était totalement surprenant. C’était le résultat d’une alchimie étrange. Les aut•eur•rice•s choisissaient où pointaient leurs liens et notre curiosité nous guidait à travers ce dense réseau de pages.
Le web est un écosystème
Les grandes plate-formes, Meta en tête, ont détourné le plaisir de la découverte et de la surprise. Elles l’ont systématisé, automatisé, industrialisé sous forme d’algorithmes qui présentent des contenus à la chaîne pour maintenir les utilisat•eur•rice•s sur place au lieu de les envoyer découvrir d’autres horizons. Alors que nous avons migré vers le web pour lui échapper, les réseaux sociaux se rapprochent toujours plus de la télévision!
Aborder l’économie de l’attention sur le web uniquement à travers le prisme de la concurrence est une erreur fondamentale. Par bien des aspects, le web ressemble à une forêt.
Les végétaux et les champignons d’une forêt collaborent en s’échangeant des nutriments et des informations par leurs systèmes racinaires. Plus les réseaux racinaires sont denses et entremêlés, plus les échanges d’information et de nutriments entre tous les acteurs de l’écosystème sont fréquents. La densité du réseau et la fréquence des échanges renforcent tout l’écosystème.
Il en va de même pour la densité des liens entre les personnes ou entre les documents sur le web.
On charbonne dur, on créé des masses de contenus, on mesure les résultats, on modère les commentaires et on interagit avec les gens… Au delà de ces tâches quotidiennes, nous avons la responsabilité personnelle et collective de former le plus possible de connexions entre nos organisations et les gens pour un enrichissement mutuel.
Laissons-nous donc aller à faire plus de liens. La fragmentation des audiences qui suit les difficultés de Twitter et la généralisation d’ActivityPub sont des opportunités qui nous aideront à y parvenir.